Au cœur de la République Démocratique du Congo, dans la province du Maï-Ndombe (ex-Grand Bandundu), vit le peuple Sakata, aussi appelé Basakata. Ce groupe ethnique bantou, rattaché au grand ensemble des Anamongo et de la famille linguistique Teke, incarne une richesse culturelle méconnue, mêlant histoire millénaire, organisation sociale complexe et spiritualité profonde. Plongée dans les traditions d’une communauté résolument ancrée dans ses racines, mais confrontée aux défis de la modernité.
Les Sakata partagent une origine commune avec les Bassa du Cameroun, un fait révélé par des similitudes linguistiques et historiques. Selon les récits transmis par les anciens, notamment relayés par Monseigneur Eugène Moke Motsuri lors d’un congrès à Douala en 1954, les deux peuples auraient migré depuis l’Égypte antique, passant par le Tchad avant de se scinder. Les Bassa Babimbi (« ceux qui se sont allongés », en référence à leur arrêt au Cameroun) et les Basakata (du mot kata, « aller plus loin ») auraient ensuite poursuivi leur route vers le Congo-Brazzaville, puis la RDC.
La société sakata se structure autour de deux figures centrales :
– Le « mbey » : Chef de terre et autorité religieuse, détenteur d’un pouvoir redouté associé à l’« iluo » (une sorcellerie sacrée). Il règne sur le bobla (unité sociale de base) et incarne l’autorité spirituelle.
– Le « mojuu » : Chef des hommes et roi politique, gouvernant un ijuu (chefferie regroupant plusieurs bobla).

Un proverbe résume cette dualité : « Mbey oni be leshaon, ujuu oni be leban » (« Le pouvoir du mbey s’arrête à sa paillote, celui du mojuu s’étend au-delà »). Les terres appartiennent au mbey, tandis que les hommes relèvent du mojuu, illustrant un équilibre entre sacré et temporel.
Les Sakata se subdivisent en sous-tribus, comme les Bobai (au nord de la Lukenie) et les Babaa (voisins des Nkundo-mbindjankama).
Si le kisakata reste la langue maternelle, le lingala, langue véhiculaire de la RDC, domine dans les échanges extérieurs et l’éducation. À l’école primaire, les enfants apprennent en lingala, et la quasi-totalité de la population est bilingue. Les emprunts lexicaux au lingala sont nombreux, mais les anciens résistent à cette hybridation, défendant le kisakata comme marqueur identitaire.

Les Sakata croient en Nzâu, l’Être suprême, garant de la justice, bien que distant. Pour communiquer avec lui, les vivants passent par des intermédiaires : ancêtres, esprits claniques ou devins. Les rituels, comme le serment sacré, révèlent cette connexion au divin :
« On prête serment en joignant tous les doigts de la main droite sauf l’index. Celui-ci est amené contre le cou, après quoi on le pointe vers le haut en disant : Nzâu ale o lo (Dieu est au ciel) ou Nzâu ale o lo, se k’unta bla (Dieu est au ciel, nous jurons par lui). »
Le M’pka, jour consacré au culte des ancêtres et des esprits, est marqué par des interdits stricts : personne ne peut travailler, sous peine de sanctions surnaturelles. Les mate (fétiches) et autres objets rituels incarnent cette spiritualité omniprésente.
Le mariage sakata traditionnel repose sur la dot (nkole), symbolisée par une chèvre, des calebasses de vin de canne à sucre et une somme modeste. La famille de la jeune femme partage ces offrandes, scellant l’union. Toutefois, à Kinshasa et dans les villes, la dot évolue : l’argent prend le pas sur les symboles ancestraux, une tendance critiquée par les traditionalistes, qui y voient une « perte de culture ».
Face à l’urbanisation et la globalisation, les Sakata luttent pour sauvegarder leur héritage. Si le kisakata résiste tant bien que mal et que les rites spirituels perdurent, les jeunes générations naviguent entre modernité et fidélité aux coutumes. Pour ce peuple, dont l’histoire résonne des rives du Nil aux forêts du Congo, la transmission reste le défi ultime.
« Connaître les Sakata, c’est comprendre une part de l’âme congolaise : complexe, résiliente, et profondément ancrée dans le dialogue entre les vivants et les invisibles. »