Il y a 65 ans, le Sud-Kasaï basculait : L’étonnante épopée d’Albert Kalonji

Mbujimayi (ex-Bakwanga)

L’histoire congolaise est tissée de chapitres tumultueux, parmi lesquels l’éphémère aventure du Sud-Kasaï occupe une place singulière. Il y a précisément 65 ans, le 8 août 1960, à peine 38 jours après les célébrations de l’indépendance nationale, une fracture territoriale s’opérait sous l’impulsion d’Albert Kalonji.

Président du parti MNC-Kalonji, Albert Kalonji déclarait unilatéralement la sécession de la région du Sud-Kasaï, fondant ainsi un État autonome. Il s’en érigeait immédiatement en Chef de l’État, confiant le rôle de chef du gouvernement à Joseph Ngalula. Bakwanga, aujourd’hui Mbujimayi, devenait la capitale de cette nouvelle entité.

La Crise Humanitaire, Catalyste de la Rupture
La jeune entité se trouva rapidement submergée par un afflux massif de réfugiés Luba, chassés de Luluabourg (actuelle Kananga) et du Katanga, cherchant refuge à Bakwanga. Face à cette crise ingérable, Kalonji sollicita un soutien urgent auprès de la puissante Minière de la BCK (future MIBA).

La réponse du président belge de la société, M. Cravatte, fut sans ambiguïté : son aide serait strictement conditionnée à une proclamation formelle d’indépendance du Sud-Kasaï. Encouragé dans cette voie radicale par Moïse Tshombe, déjà à la tête de la sécession katangaise, Albert Kalonji franchit le pas. C’est depuis Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) qu’il officialisa la sécession ce fameux 8 août 1960.

De Président à Mulopwe : Le Couronnement et la Fracture
L’évolution du pouvoir de Kalonji prit une tournure inattendue en avril 1961. Il fut investi du titre traditionnel de Mulopwe (empereur). L’État autonome du Sud-Kasaï se métamorphosait alors en Royaume fédéré du Sud-Kasaï.

Cette mue impériale, perçue par beaucoup comme une dérive mégalomane, provoqua une désillusion profonde au sein même de ses soutiens. Une large faction des intellectuels Luba, connus sous le nom de Bena-Mikanda, tourna le dos à leur leader. Menés par l’ancien chef du gouvernement Joseph Ngalula, ils quittèrent le Sud-Kasaï pour rejoindre Kinshasa, bien décidés à combattre l’homme qu’ils avaient porté au pouvoir.

L’Article 15 Fantôme : Naissance d’une Légende
Pour achever de discréditer Kalonji, ses adversaires politiques basés à Kinshasa firent circuler une rumeur tenace, destinée à illustrer son impuissance face aux difficultés croissantes de la population. Ils affirmèrent qu’une constitution, prétendument adoptée sous son règne, contenait un article 15 pour le moins expéditif : « Débrouillez-vous ! ».

Bien que totalement inventée, cette formule lapidaire traversa les décennies, s’ancrant solidement dans l’imaginaire collectif congolais. Elle demeure, encore aujourd’hui, une anecdote révélatrice des tensions et des mythologies politiques nées dans le chaos des premières années de l’indépendance, et de l’étonnant parcours d’Albert Kalonji, président devenu empereur d’un royaume éphémère.

Par Horus-Gabriel Buzitu

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